Le phénomène de la trappe à liquidités

 

A - Définition de la trappe à liquidités

Wikipédia nous en donne la définition suivante :

« La trappe à liquidité est un phénomène proposé en analyse keynésienne, dont le but est d'expliquer les caractéristiques observées quand la Banque Centrale devient incapable de stimuler l'économie par la voie monétaire. »

Nous allons essayer de comprendre et d’expliquer ce phénomène en commençant l’exposé par les propriétés de la monnaie scripturale puisque c’est d’elle qu’il s’agit.

B - Deux monnaies, deux compartiments étanches

On sait qu’il existe deux sortes de monnaie scripturale :

• la monnaie centrale, émise par les banques centrales,

• la monnaie secondaire, émise par les banques de dépôts ou banques commerciales.

En règle générale, seules les banques commerciales et le Trésor Public ont des comptes ouverts à la Banque centrale, zone d’échange de la monnaie centrale. De même, seuls les agents non bancaires (ANB), y compris donc les établissements financiers, ont des comptes ouverts dans les banques dites commerciales ou de dépôt, zone d’échange de la monnaie secondaire.

La monnaie scripturale ne peut donc s’échanger qu’entre titulaires de comptes ouverts dans la même zone monétaire à une exception près, le Trésor Public (ANB) qui oblige les banques à servir de sas entre les deux monnaies, comme exposé plus bas.

Cela se comprend quand on sait que :

• les banques de dépôt procèdent entre elles à des transferts de compte à compte à la Banque centrale ou d’une banque centrale à l’autre,

Les banques ne tirent pas sur une autre banque, puisque elles utilisent pour ce faire leurs comptes à la Banque centrale.

• les agents non bancaires procèdent entre eux à des règlements par chèques, virements, cartes bancaires, prélèvements et autres formes de paiement, d’une banque commerciale à l’autre.

Les ANB ne tirent pas sur la Banque centrale puisqu’ils n’ont pas de comptes ouverts chez elle.

Le Trésor, qui pratique quotidiennement dans un sens ou dans l’autre de nombreux transactions avec les agents non bancaires, est le seul agent non bancaire à disposer d'un compte ouvert à la Banque centrale.

Voici comment s'opèrent les échanges entre les deux monnaies, les banques commerciales servant de passerelle entre les deux monnaies.

                1 - Le Trésor règle ses dépenses. Son compte est débité à la Banque centrale, tandis que le compte de la banque X du fournisseur est crédité à la même Banque centrale. Dans le même temps, la banque X crée de la monnaie secondaire en créditant le compte de dépôt à vue (DAV) de son client (fournisseur de l'Etat). Il n'y a pas de destruction de monnaie centrale, alors qu'il y a création de monnaie secondaire.

                2 - Le Trésor encaisse ses recettes d'impôts. Son compte est crédité à la Banque centrale, tandis que la banque Y est débitée à la même Banque centrale. Dans le même temps, la banque Y détruit la monnaie secondaire en débitant le compte (DAV) de son client (contribuable). Il y a destruction de monnaie secondaire, tandis qu'il peut y avoir ou non création de monnaie centrale, selon que la banque Y dispose ou non de cette monnaie.

Les monnaies centrale et secondaire scripturales ne se mélangent donc pas ; elles s’échangent comme s’il s’agissait de devises à parité.

On aurait tendance à croire que les monnaies fiduciaire et scripturale ont les mêmes propriétés ; mais, on oublie généralement que les pièces et les billets se transmettent manuellement alors que les échanges de monnaie scripturale s’opèrent par la voie d’écritures de compte à compte. C’est toute la différence et elle est fondamentale.

Les excédents de monnaie centrale dont disposent les banques ne peuvent être utilisés qu’entre elles et le Trésor. Ils ne peuvent pas servir à l’économie réelle contrairement à ce que l’on a tous tendance à dire et à croire, sauf évidemment par le biais du Trésor Public. Et les autorités monétaires - qui ne peuvent l’ignorer - ne cherchent surtout pas à nous détromper.

Une banque X voudrait prêter une somme de 1.000.000 unités monétaire (UM) à une entreprise A, en utilisant ses disponibilités à la Banque centrale qu'elle ne le pourrait pas, puisque A n'a pas de compte ouvert à la Banque centrale, sur lequel elle aurait pu lui remettre les fonds à disposition, par chèque ou virement par exemple. Il paraît exclu de supposer que la banque établisse un chèque tiré sur la Banque centrale à l'ordre de son client, celui-ci le remettant aussitôt à l'encaissement à sa même banque ! Elle n'a pas d'autre alternative pratique que celle de créer de la monnaie dite secondaire (par opposition à monnaie centrale).

Enfin pour les motifs exposés, ce n’est pas la Banque centrale qui finance l’économie (hors l’Etat) mais les banques commerciales par la voie de la monnaie secondaire qu’elles émettent aux comptes des ANB en contrepartie des crédits accordés.

C - Emission de monnaie centrale

On a vu ici qu’il existe trois sources de monnaie centrale gratuite qui revient fatalement aux banques puisqu’il n’y a quasiment qu’elles qui se partagent cette monnaie. La Super-banque procède en effet à la création (ou inversement à la destruction) de cette monnaie, lorsque :

a) - elle consent des avances directes ou indirectes au Trésor (souscription ou rachat ferme de bons ou obligations d’Etat),

b) - elle alimente les réserves en devises du pays (généralement exportateur net) en les rachetant aux banques,

c) - exerçant son activité, ses actifs propres sont supérieurs à ses passifs propres (cas courant).

Voici pour la création de monnaie centrale.

Voyons à présent le financement de l’Etat et les conditions de l’émission ou non de monnaie centrale.

Celui-ci peut être financé directement par sa Banque centrale (sauf en Euroland), par les banques et aussi par les ANB (les fonds de pension et autres, le public et l’étranger). Les effets sur la masse de monnaie centrale émise ne sont pas les mêmes selon l’origine des souscripteurs, comme il est dit ci-après :

                1 - Si la Banque centrale était seule à financer l’Etat, les banques commerciales - prises ensemble - disposeraient d’abondantes liquidités. C’est le cas des Etats-Unis (voir plus bas).

                2 - Si les banques commerciales étaient seules à financer l’Etat, elles ne disposeraient pas de liquidités centrales en provenance de cette source, puisqu’elles doivent se procurer cette monnaie en amont avant de la récupérer en aval, au moment de l’utilisation des fonds par l’Etat (B1 ci-dessus).

                3 - Dans l’hypothèse où les ANB et l’étranger seraient seuls à financer les émissions du Trésor, les banques commerciales agissant pour leur compte se retrouveraient dans le cas décrit au 2 ci-dessus (2 monnaies, 2 compartiments).

L’abondance de liquidités au compte des banques de dépôts à la Banque centrale provient donc en priorité de l’émission de bons et obligations du Trésor (cas du 1 ci-dessus).

Il est hautement probable que les autorités monétaires européennes aient choisi d'obliger l'Etat à faire appel aux marchés pour que les émissions de bons et obligations du Trésor n'aient pas comme conséquence de fournir des excédents massifs de monnaie centrale aux banques commerciales.

L’interdiction faite aux Banques centrales de la zone euro de financer directement les Etats, par le traité de Maastricht, peut trouver là aussi un bon alibi pour mettre les intérêts de la dette à la charge des masses laborieuses.

Rappelons que ce traité autorise la remise de titres souverains par les banques à leur Banque centrale à condition qu’il s’agisse de refinancement (titres pris en pension), ce qui n’est pas le cas dans les hypothèses examinées ici.

D - Comment est alimentée la trappe à liquidités

Ce n’est pas une coïncidence si celle-ci est apparue avec l’affaire des subprimes en 2007. Elle s’est amplifiée avec l’affaire des dettes souveraines. En fait, elle est la manifestation apparente de la crise systémique dans laquelle s’enfonce irrémédiablement tout le système bancaire.

Sur les marchés interbancaires, aux Etats-Unis, en Europe et dans la plupart des places financières (2007-2008), les banques prêteuses ne veulent plus accepter de leurs consœurs emprunteuses les titres « subprimes » qu’elles acceptaient la veille encore en garantie. Ce fut le premier choc systémique suivi deux ou trois ans plus tard (2010 - 2011) d’un deuxième choc amplifiant le précédent, produit celui-là par les titres souverains dépréciés par les agences de notation.

Nous avons identifié trois sources de monnaie alimentant la trappe à liquidités :

                1 - le Quantitative Easing puisque celui-ci consiste à procéder à la souscription massive de bons et obligations du Trésor, ou autrement dit quand la Banque centrale finance directement l’Etat (cas examiné au C1), principale source,

                2 - l’achat de titres toxiques, deuxième source,
on a vu en effet ici que la Fed, en 7 ans (2007 à 2014) a racheté pour 1,8 trillions de dollars de titres toxiques,

Ouvrons ici une parenthèse.

Les Etats-Unis ont de tout temps imposé que tous leurs échanges, dans un sens (export) ou dans l’autre (import), se pratiquent dans leur monnaie : le dollar. Sachant que la balance commerciale des USA est déficitaire de longue date (8,5 trillions de dollars en 20 ans). Il en résulte que :

- les USA n’ont pas de réserves en devises,
- le dollar- ainsi répandu dans le monde entier - est devenu la monnaie de réserve des principales banques centrales de la planète.

L’abondance de devises a eu pour effet d’alimenter les banques commerciales en monnaie centrale, gratuite comme il a été dit au-dessus. Cette monnaie centrale a servi principalement - croyons-nous - à l’acquisition de titres souverains servant de garantie à des prêts consentis, soit par leurs consœurs sur le marché interbancaire, soit par la banque centrale.

Refermons la parenthèse.

                3 - le dérèglement des marchés interbancaires européens - en raison de la défiance manifestée envers les titres souverains par les prêteurs - a eu pour conséquence d’obliger les BCN de la zone euro (Target-2 et la Buba), de prendre en pension ou de racheter ferme des titres exposés à un risque de défaut, c’est la troisième source.

En contravention flagrante avec les règles de Maastricht, la BCE et les Banques Centrales Nationales ont racheté aux banques des titres souverains (Grec, Irlandais, Portugais, pour ne citer que ceux-là), afin de leur éviter les recapitalisations exigées par la réglementation bancaire (ratio Cooke ou Bâle II), c’est-à-dire l’appel aux actionnaires. Les banques commerciales ont par ce procédé transféré à leur BCN les pertes éventuelles dues aux dépréciations.

Quoi qu’il en soit, les banques commerciales pourvues abondamment en monnaie centrale ne peuvent pas servir l’économie réelle en raison de l’organisation du système monétaire standard : deux monnaies, deux compartiments étanches.

Laisser croire le contraire relève de l’imposture, car les autorités monétaires dissimulent à l’opinion publique - les experts y compris - ce qu’elles ne peuvent ignorer.

texte remanié le 9 avril 2015

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