L'économie européenne en voie de japonisation

 

Ces temps-ci, on parle beaucoup de japonisation de l’économie. De quoi s’agit-il en réalité ?

A - Rappel des données de l’économie japonaise (1980 - 2012)


Moyenne

Evolution

Volume implicite

Taux Inflation

 

Consommation

FBC

Balance commerciale

An/décennie

du PIB en %

% PIB

% PIB

 

% PIB

% PIB

% PIB

1980 à 1989

6,3

4,4

1,9

 

68,7

29,6

1,9

1990 à 1999

2,0

1,5

0,5

 

69,7

28,8

1,5

2000 à 2009

-0,7

0,5

-1,2

 

76,1

22,7

1,2

2010 à 2012

0,2

1,8

-1,4

 

80,3

20,3

-0,6

Ces données sont tirées des publications de la Banque Mondiale et de l’OCDE.

L’évolution du PIB qui était en moyenne annuelle de l’ordre de + 6,3% dans la décennie 1980/1989 est passée à + 2% dans la décennie suivante, avant de chuter en territoire négatif à - 0,7% en 2000/2009. De 2000 à 2012 le PIB japonais flirte autour de zéro  en moyenne annuelle à + 0,2%.

Le taux d’inflation qui était en moyenne annuelle de l’ordre de + 1,9% dans la décennie 1980/1989 est passée à + 0,5% dans la décennie suivante, avant d’atteindre un taux de déflation de - 1,2% en 2000/2009. De 2010 à 2012 le taux de déflation s’est plutôt aggravé à - 1,4%.

Dans le même temps, la composition du PIB (Consommation + Investissement + Export - Import) a évolué comme suit :

La consommation finale est passée de 68,5% (1980/1989) à 80% (2010/2012) du PIB, tandis que l’investissement est tombé de 29,5% à 20,5% et le solde de la balance commerciale de 2% à - 0,5%, la somme des % de chaque composante étant égale à 100 naturellement.

Le taux d’épargne brute des ménages japonais est passé de 31,2% en 1980 à 26,6% en 2000 et enfin à 18,8% en 2012.

Pour comparaison, le taux d’épargne brute des ménages américains est passé de 16,7% en 1980 à 14,0% en 2000 et enfin à 9,6% en 2012.

B - Premières observations

On voit qu’il existe une relation étroite entre la croissance du PIB et le taux d’inflation, ce qui paraît normal. Au fur et à mesure que la croissance diminue jusqu’à entrer en dépression, le taux d’inflation suit à peu près la même courbe pour atteindre la déflation.

Il semble paradoxal de constater que le part de la consommation finale (principalement des ménages) dans le PIB ait augmenté alors que celui-ci s’est contracté. Cela s’explique par la chute spectaculaire de l’investissement. Les entreprises n’investissent qu’à la condition que la demande soit soutenue (ce qui n’est plus le cas quand le PIB est en chute libre) et la construction de logement chute en même temps que le revenu des agents économiques se dégrade (PIB en baisse = Revenu national en baisse, puisque PIB = RN).

Le revenu des ménages, c’est-à-dire leur pouvoir d’achat, étant nécessairement affecté par la baisse du PIB et dans des proportions voisines, le recours à l’épargne explique la baisse très sensible de l’épargne brute constatée.

Le taux d’épargne des japonais est grosso modo deux fois plus élevé que le taux américain, mais en chute aussi prononcée. Même cause (dégradation du PIB) = mêmes effets (dégradation du taux d’épargne brute).

C - Politique de la Banque centrale du Japon

Rappelons que la dette publique du pays représente actuellement environ 250% de son PIB. Pour un taux moyen d’intérêts de 3%, le service de la dette représente alors 7,5% du PIB.

Pour juguler la déflation et relancer l’économie, la Banque centrale du Japon s’est engagé depuis avril 2013 dans une politique d’assouplissement  quantitatif, à l’instar de la Fed aux USA.

Si l’économie (PIB) a été relancée dans des proportions moindres que prévues, la déflation court toujours.

Voici notre analyse :

1 - Pourquoi les émissions monétaires par la Banque du Japon (BOJ) aboutissent dans les comptes des banques commerciales ?

Parce que la BOJ traite directement avec le Trésor Public (TP) japonais, sans passer (ou seulement en partie) par les marchés. Une étude sur le financement de l’Etat - au sens général - le démontre ici.

Comme la Fed, la Banque centrale du Japon peut souscrire directement à l’émission de bons et obligations du TP, sans passer par les marchés, alors que dans la zone euro cela est interdit par les traités de Maastricht/Lisbonne.

Les banques de dépôt trouvent ainsi des moyens financiers, en monnaie centrale, pour spéculer sur les marchés. Elles bénéficient de cette manne monétaire en raison de l’organisation des systèmes de compensation. Mais cette monnaie ne leur appartient pas, elle provient des concours bancaires à l’économie qu'elles ont elles-mêmes accordés.

Ainsi, la politique d’assouplissement quantitatif a des effets collatéraux malheureux puisqu’elle sert abusivement la profession bancaire pour ses opérations spéculatives.

2 - Pourquoi les fonds captés par les banques ne servent pas à l’économie ?

Tout le monde s’étonne de voir que les fonds dont disposent les banques ne sont pas réinjectés dans l’économie réelle.

Voici la réponse :

Il existe deux sortes de monnaie scripturale : la monnaie centrale émise par la Banque centrale et la monnaie secondaire émise par les banques commerciales ou de dépôts. Ces deux monnaies circulent dans deux zones indépendantes l’une de l’autre. Il faut avoir un compte dans l'une ou l'autre zone pour la faire circuler et en pratique ceux qui disposent de comptes dans une zone n'en disposent pas dans l'autre.

C’est une spécificité de la monnaie scripturale qui semble échapper à la connaissance des experts eux-mêmes, puisque l’on croit que les masses de monnaie centrale que possèdent les banques de dépôt peuvent servir à l’économie réelle, oubliant que l’économie réelle ne fonctionne qu’avec de la monnaie secondaire.

Les excédents de monnaie centrale - de plus en plus conséquents - aux comptes des banques ne servent qu’à celles-ci.

D - Comparaison des économies japonaises et occidentales (européennes principalement)

1 - Sachant que la crise de 2007/2008 a précipité les économies développées  du monde entier dans la récession, pourquoi l’économie japonaise est-elle en avance de 20 ans environ, par rapport aux économies occidentales, sur le processus de dégradation du PIB ?

Nous en attribuons la cause principale à son taux d’épargne brute supérieur à celui des économies occidentales, en particulier à celui des USA (cf. chapitre A ci-dessus). Nos études sur le fonctionnement de l’activité nationale montrent que l’épargne constitue le frein le plus puissant sur l’activité de production tandis que le crédit joue tant bien que mal - en l’absence de régulation - le rôle de l’accélérateur.

Si le rôle prépondérant de l’épargne n’est pas reconnu - par suite d’un manque flagrant de théories - les autorités monétaires admettent implicitement le rôle du crédit en adoptant l’assouplissement quantitatif.

2 - En résumé, toujours selon notre point de vue :

Les économies européennes sont en bonne voie de japonisation, c’est-à-dire en décroissance du PIB pouvant aller jusqu’à la récession voire la dépression, d’une part, et en déflation chronique, d’autre part, ceci en raison d’une épargne trop forte (selon les coutumes du pays), mais insuffisamment couverte par le recours au crédit quel que soit le pays.

3 - Particularités européennes

N’en déplaise à son Président, la Banque Centrale Européenne ne peut absolument pas imiter la Fed et la BOJ en matière d’assouplissement quantitatif, car les traités de Maastricht/Lisbonne le lui interdisent. Et prétendre le contraire revient à abuser l’opinion.

D’ailleurs, les chiffres ne trompent pas. Ils montrent que depuis la fin de 2012 le bilan consolidé de l’Eurosystème n’en finit pas de baisser.

De fin 2012 à fin 2013, la situation consolidée de l’Eurosystème est passé de 2.960 mds€ à 2.270 mds€, perdant ainsi près de 700 mds d’euros en 1 an. Au 26 septembre 2014, elle s’établit à 2.040mds€, perdant 200mds€ de plus (source : Bulletins mensuels de la BCE).

Où sont donc passés les 900 mds€ ?

On peut émettre l’hypothèse que certaines dettes souveraines dépréciées auraient pu être dirigées sans le dire et subrepticement vers une structure de défaisance.

Enfin, comment pourrait-on faire de l’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire autoriser les BCN à émettre de la monnaie au bénéfice des TP européens, alors que la politique monétaire de la troïka s’emploie au contraire à faire rendre gorge aux Etats ayant dépassé - pour la plupart - le seuil autorisé des 60% du PIB ? On baigne dans la contradiction !

E- Considérations générales

L’écart se creuse de plus en plus entre les hauts et les bas revenus entrainant dans leur sillage vers le bas les classes moyennes. Ce phénomène prend sa source, à notre avis, dans la mondialisation des échanges et il est accéléré par la crise que nous traversons.

Le capitalisme - le gros mot est dit - surfe sur les marchés internationaux pour en obtenir les meilleurs rendements. C’est ainsi qu’hier la mécanisation et aujourd’hui la robotisation réduisent considérablement (dans les produits) la part de la main d’œuvre et évidemment sa rémunération dans un marché du travail ravagé par le chômage qui en est la conséquence.

Le capitalisme trouve ses moyens financiers dans l’épargne en provenance de l’activité de production et dans les ressources monétaires que les banques mettent à sa disposition, selon l’adage « on ne prête qu’aux riches ». Où croyez-vous que les grandes firmes trouvent l’argent des absorptions et fusions de leurs concurrents et activités voisines ? Et à quoi sert cet argent, créé ex-nihilo par les banques, sinon à consolider leurs positions de quasi monopole ?

Sans y prendre gare, le capitalisme est en train de tuer la poule aux œufs d’or. Comment ? C’est très simple.

La politique mercantile orientée coûte que coûte vers le profit, conduit inéluctablement à l’appauvrissement des masses laborieuses. Mais, comme ce sont elles par leur grand nombre - effet de masse - qui font marcher la machine, celle-ci ralentit.

Ainsi donc, l’épargne des rentiers et des capitalistes de plus en plus forte tue l’économie réelle.

Les injections de monnaie par les banques centrales sont vouées à l’échec car elles alimentent tout d’abord et naturellement le capital et l’épargne.

On en veut pour preuve ses effets limités à court terme : quelques mois seulement après leur versement au Trésor public, c’est pourquoi il faut en injecter sans cesse.

Et puis, il ne faut pas oublier la charge de la dette qui va au capital ou aux rentiers. Que reste-t-il alors aux masses laborieuses, touchées de plein fouet par le chômage ?

Il est temps de changer le logiciel de l’économie afin de passer d’une structure capitaliste à une structure délibérément orientée vers l’amélioration du pouvoir d’achat des masses laborieuses. Et, ce n’est pas en augmentant le salaire minimum que l’on peut y arriver dans l’état actuel de la structure de l’économie.

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