Comptes et mécomptes de la BCE et de ses BCN

 

Une règle surprenante a été instituée pour les états financiers (Bilans et comptes de résultats) de toutes les Banques centrales indépendantes, par ceux-là mêmes qui sont chargés de l’appliquer.

Voici pour l’Europe, ce que l’on peut lire dans le « Protocole sur les statuts du Système Européen de Banques Centrales et de la Banque Centrale Européenne » (SEBC), à l’article 26.2 :

Les comptes annuels de la BCE sont établis par le directoire conformément aux principes déterminés par le conseil des gouverneurs. Les comptes sont approuvés par le conseil des gouverneurs et sont ensuite publiés.

Ainsi donc, le conseil des gouverneurs édicte les règles comptables qui s’appliquent à l’établissement des comptes annuels de l’Institution qu’il dirige et qu’il les approuvent ensuite.

Elles n’ont en définitive de comptes à rendre à personne. Et, quel pied de nez à la démocratie !

Quand les règles sont fixées par des gens qui sont à la fois juges et parties tous les excès sont permis.

La preuve en est apportée par les irrégularités que l’on peut relever dans les bilans de la Banque Centrale Européenne (BCE) analysés ci-après.

A - Généralités

La BCE dirige ses 18 (actuellement, à fin 2014) Banque Centrales Nationales (BCN) qui sont à son capital, comme la Fed dirige ses douze « Regional Federal Reserve Banks ».

L’Eurosystème est l’Institution qui regroupe la BCE et ses 18 BCN ; on peut supposer que c’est la BCE qui tient les comptes de l’ensemble consolidé puisque c’est elle qui les publie.

Dans son rapport annuel, la BCE publie naturellement ses propres comptes et ils sont certifiés par des Commissaires aux comptes extérieurs des plus renommés. Mais, le bilan consolidé de l'Eurosystème qui y figure n’a jamais été certifié par un cabinet de commissaires aux comptes, comme il devrait l’être et ainsi qu’il en est du modèle américain.

Le dernier rapport annuel (2013) de la BCE pour l’établissement de ses comptes financiers rappelle que :

En vertu de l’article 26.2 des statuts du SEBC, les comptes annuels de la BCE sont établis par leDirectoire, conformément aux principes définis par le Conseil des gouverneurs.

et précise notamment que :

Les états financiers de la BCE ont été élaborés de manière à donner une image fidèle de la situation
financière de la BCE et des résultats de ses opérations. Ils ont été établis conformément aux règles
et méthodes comptablesque le Conseil des gouverneurs de la BCE estime adaptées à la nature del’activité d’une banque centrale et qui sont exposées ci-après.

Les règles comptables appliquées sont les suivantes : réalité économique et transparence, prudence,
prise en compte des événements postérieurs à la date de clôture du bilan, importance relative,
principe de continuité de l’exploitation, principe de spécialisation des exercices, permanence desméthodes et comparabilité.

Et les Commissaires aux comptes - quels qu’ils soient - ont pour habitude de terminer leur rapport (ici pour 2013) par la mention :

À notre avis, les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle de la situation financière de laBanque centrale européenne au 31 décembre 2013 et des résultats de l’exercice s’achevant à cette date, conformémentaux règles et méthodes comptables établies par le Conseil des gouverneurs et définies dans la décision BCE/2010/21concernant les comptes annuels de la Banque centrale européenne, telle que modifiée.

Ils s’entourent d’un maximum de précautions pour échapper à leurs responsabilités, si besoin était.

Comment peut-on parler d’image fidèle ?

B - Examen des rapports annuels - Bilans de la BCE

Il existe en comptabilité une règle interdisant strictement les compensations comptables. Voici ce que dit le Mémento Comptable de Francis Lefebvre :

« Principes de non-compensation des créances et des dettes - Toute compensation est interdite, sauf lorsqu’elle est prévue par les dispositions en vigueur (PCG, p. I.9) »

Ces dispositions en vigueur concernent principalement des situations de faillite ou de liquidation judiciaire.

Cette règle a été transgressée par le Conseil des Gouverneurs, qui dit notamment dans son rapport sur les comptes de 2013 :

Les soldes intra-Eurosystème des BCN de la zone euro vis-à-vis de la BCE constitués lors de l’utilisation de TARGET2 ainsi que les autres soldes intra-Eurosystème libellés en euros (comme les acomptes sur dividendes versés aux BCN) sont présentés dans le bilan de la BCE sous la forme d’une position nette unique à l’actif ou au passif et figurent dans la rubrique « Autres créances intra-Eurosystème (nettes) » ou « Autres engagements envers l’Eurosystème (nets) ».

Aussi, ne faut-il pas s’étonner de voir apparaître des positions nettes, soit à l’actif, soit au passif  - il en faut moins que cela pour faire hurler un comptable, s’agirait-il même d’un expert - comme le montre le petit tableau suivant :

en milliards € à la fin de l'exercice

2006

2008

2010

2012

2013

Créances (+) Dettes (-) intra-Eurosystème

3,5

234,1

-21,2

24,7

-0,1

Montants dus par BCN à BCE (Target2 )

83,7

420,8

435,9

981,1

688,0

Montants dus par BCE aux BCN (Target2 )

-80,2

-185,5

-457,1

-955,8

-686,7

Montants dus aux BCN (acptes sur divid.)

0,0

-1,2

0,0

-0,6

-1,4

Total Bilan

105,7

383,9

163,6

207,3

174,2

Les créances (+) devraient figurer à l’actif, tandis que les dettes (-) devraient apparaître au passif.

On remarquera tout d’abord l’ampleur de la compensation des comptes d’actif et de passif. Le total du bilan de 2013 qui aurait atteint 862 mds€ (688 + 174) a été ramené à 174 mds€, soit 5 fois moins.

C’est tellement énorme, que cela devient suspect. Avez-vous bien lu « image fidèle » au dessus ?

Les notes en annexe au bilan indique que dans les montants compensés figurent des opérations de swap en cours avec la Fed, ainsi que des paiements entre résidents et non-résidents via Target2. Mais délibérément, ces opérations ne sont ni isolées ni connues, ce qui ajoute à la confusion.

A notre avis, elles représentent les différences constatées en plus à l’actif ou en moins au passif au gré des années, comme le montre le tableau ci-dessus à la ligne « Créances (+) Dettes (-) intra-Eurosystème ». Car, par définition, la somme des opérations de compensation de Target2 est nulle.

Alors que cherche-t-on à dissimuler ?

La BCE précise que les BCN lui doivent des sommes importantes, soit 688 mds€ à fin 2013 au titre de Target2. Ces sommes devraient figurer en créances à l’actif de son bilan.

Mais, ce qu’elle ne dit pas, c’est que la compensation des comptes lui évite de communiquer le détail et la nature des titres apportés en garantie des sommes que lui doivent les BCN. Personne ne peut savoir si ces titres - vraisemblablement souverains pour la plupart - sont ou non affectés d’un risque de défaut (Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Portugal etc.). On se reportera utilement au chapitre « Target2 et la Buba » qui analyse les opérations de compensation entre BCN et leurs garanties.

Ce qui n’empêche pas Ernst & Young dans le dernier rapport de déclarer - comme ses prédécesseurs - que :

« À notre avis, les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle de la situation  financière de la Banque centrale européenne au 31 décembre 2013 et des résultats de l’exercice s’achevant à cette date, conformément aux règles et méthodes comptables établies par le Conseil des gouverneurs et définies dans la décision BCE/2010/21 concernant les comptes annuels de la Banque centrale européenne, telle que modifiée. »

On voit que le commissaire aux comptes s’entoure de toutes les précautions d’usage pour éviter de mettre sa responsabilité en jeu, sans y parvenir de notre point de vue. Les commissaires - autoproclamés indépendants, comme cela est mentionné en haut de leur rapport - sont finalement aux ordres de la toute-puissance monétaire en passant sous silence de pareilles entorses (même autorisées) aux principes comptables de base.

Une dernière remarque. Contrairement à ce qu’elle laisse entendre - puisque ne l’ayant pas dénoncé - ce n’est pas la BCE qui émet la monnaie (assouplissement quantitatif) mais bien les BCN. La preuve en est apportée par le total des bilans annuels de la BCE, confirmée par les bilans consolidés de l’Eurosystème (BCE + BCN) qui suivent.

Comment peut-on parler d’image fidèle ? Circulez, il n’y a rien à voir !

C - Examen des rapports annuels - Bilans de l’Eurosystème

Dans les rapports annuels que nous avons examinés (2007 à 2013), les bilans consolidés de l’Eurosystème sont publiés, mais ne sont pas certifiés.

La comparaison des bilans consolidés de l’Eurosystème des exercices 2012 et 2013 montre une diminution très sensible de leur total : près de 700 milliards d’euros, passant de 2.963 mds€ à 2.273 mds€. Cette baisse s’est accentuée en 2014, le total du bilan allant jusqu’à 2.054 mds€ au 28 novembre (cf. Bulletin mensuel de décembre BCE). Bien que démenti par ses bilans, le président de la BCE prétend depuis plus d’un an engager une politique d’assouplissement quantitatif (voir chapitre : « L’assouplissement quantitatif à l’européenne »).

Ainsi qu’il a été dit au-dessus, le bilan consolidé de l’Eurosystème n’est pas certifié, ce qui dispense le Conseil des gouverneurs de donner des explications sur les variations des postes de bilan.

Toutes les suppositions étant permises, on peut émettre l’hypothèse que depuis 2012 les titres souverains remis en pension ou achetés ferme entre BCN ont été dirigés vers une structure de défaisance pour évacuer des titres dépréciés ou en voie de l’être.

D - Conclusions

Profitant d’une indépendance que les gouvernements de la zone lui ont imprudemment accordée, la BCE agissant en tant que « juge et partie », a fixé certaines règles comptables en contravention flagrante avec les principes fondamentaux de la comptabilité, en l’occurrence la compensation des créances et des dettes intra-Eurosystème qui devraient figurer, les premières à l’actif, les secondes au passif.

Le total du bilan de la BCE s’en trouve réduit dans des proportions inimaginables : 5 fois moins en 2013. C’est du jamais vu !

L’intention de dissimuler certaines opérations à l’opinion publique paraît évidente en faisant l’amalgame de postes de bilan sans indication de montants les concernant avant de les compenser.

Par ce procédé - légalisé par le conseil des gouverneurs - les commissaires aux comptes n’ont pas à se prononcer sur des opérations dissimulées dans les comptes compensés.

La compensation évite de communiquer le détail et la nature des titres apportés en garantie des sommes que doivent les BCN à la BCE. Personne ne peut savoir si ces titres - vraisemblablement souverains pour la plupart - sont ou non affectés d’un risque de défaut.

Les pertes qui pourraient en résulter seraient susceptibles d’affecter sensiblement les capitaux propres de la Banque Centrale Européenne et l’obliger par conséquent à opérer une recapitalisation.

Enfin, l’analyse des bilans de l’Eurosystème dont le total est en chute libre de 910 mds€ de fin 2012 à novembre 2014 (2.960 mds€ à 2.050 mds€), est un démenti sanglant aux propos tenus par le président de la BCE qui prétend - depuis de longs mois - mener une politique d’assouplissement quantitatif tandis que s’opère dans ses comptes le contraire !

Cette réduction du bilan de l’Eurosystème peut être interprétée comme un moyen d’évacuer vers une structure de défaisance ad-hoc les titres - souverains, vraisemblablement - dépréciés ou en voie de l’être.

Enfin, comment sont élaborés les bilans de l’Eurosystème, et quelle confiance peut-on leur accorder s’ils ne sont pas certifiés ?

Tous les faits relatés et les textes reproduits sont vérifiables dans les rapports annuels cités de la BCE.

 

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