L'assouplissement quantitatif et le Quantitative Easing (QE)

 

Assouplissement quantitatif est le terme qu'a choisi la Banque Centrale Européenne (BCE) comme équivalent du "Quantitative Easing" (QE) pratiqué par la Réserve Fédérale américaine (Fed) aux Etats-Unis. Il s'agit de ce que l'on appelle sournoisement, en Europe, la politique monétaire non conventionnelle.

Comme on va pouvoir le vérifier ci-après, le QE a été employé à deux fins distinctes :

- le rachat de titres toxiques aux banques et autres investisseurs, et

- la souscription de titres (bons et obligations) émis par l’Etat américain

avec des effets économiques très différents l’une de l’autre.

La première consiste pour la Fed à racheter des titres toxiques, adossés à des titres hypothécaire, ce qui correspond à un transfert effectif de pertes des banques et autres organismes vers la banque centrale, tandis que la seconde consiste pour la Fed à souscrire à l’émission d’obligations et bons du Trésor américain apportant par le fait même des liquidités fraiches à l’économie réelle  par les dépenses de l’Etat en faveur des Agents non bancaires (ANB).

Il nous semble utile de dissiper une confusion qui règne en matière de Quantitative Easing.

Lors de l’émission de monnaie par la Banque centrale, à la souscription de bons et obligations de l’Etat, les fonds levés par le Trésor public reviendraient directement aux comptes des banques, laissant supposer que ce sont elles qui rachètent les titres souverains.

On fera tout d’abord remarquer que le vocabulaire utilisé favorise cette confusion : sous le vocable de « rachat » se cache la souscription de titres, ce qui n’est pas pareil.

Il faut rappeler que les monnaies centrale et secondaire (scripturales) circulent dans deux zones indépendantes l’une de l’autre. Il faut avoir un compte dans l'une ou l'autre zone pour la faire circuler et en pratique ceux qui disposent de comptes dans une zone n'en disposent pas dans l'autre. Les banques et le Trésor public ont des comptes ouverts à l’Institut d’émission (première zone) et les ANB ont un ou plusieurs comptes ouverts dans les banques de dépôt (deuxième zone).

Lors de l’émission de bons et obligations d’Etat - quel que soit le pays - le Trésor public reçoit de la monnaie centrale. Quand l’Etat procède à ses dépenses - celles pour lesquelles l’émission a été lancée - le Trésor verse les fonds aux banques pour le compte des ANB (fournisseurs, prestataires divers, salariés, etc.), en monnaie centrale donc. Les banques créent alors de la monnaie secondaire qu’elles portent au crédit des comptes des ANB puisque ceux-ci n’ont pas accès à la monnaie centrale et qu’ils n’échangent entre eux que de la monnaie secondaire.

En définitive, les bons et obligations d’Etat souscrits par la banque centrale donnent lieu à création de monnaie centrale (planche à billets) qui atterrit dans les comptes des banques commerciales lors du règlement par l’Etat de ses dépenses à destination des ANB.

La souscription de titres souverains directement par la BCE et ses BCN est interdite en Europe par le traité de Maastricht.

 

1 - Le Quantitative Easing aux Etats-Unis

Il a été pratiqué à trois reprises, avec l’autorisation du Congrès - semble-t-il - pour les deux derniers. Les données qui suivent sont tirées des bilans consolidés annuels de la Fed sur la période 2007/2010.

                a ) Le QE 1 a été mis en place en 2008.

Des injections massives de liquidités ont été utilisées pour sauver les banques, les géants du marché hypothécaire (Freddie Mac, Fannie Mae) et l’assureur AIG, si l’on s’en tient aux plus gros.

Le total des bilans consolidés de la Fed passe de 915 mds$ à fin 2007 à 2.430 mds$ à fin 2010, soit une hausse de 1.500 mds$ environ, que l’on retrouve en grande partie, aux deux postes d’actif suivants :

- Bons et obligations du Trésor, en hausse de 283 mds$
(Treasury securities, net)          

- Titres adossés à des hypothèques, pour 1.005 mds$. Ce poste n’existait pas en 2007.                              
(Federal agency and government-sponsored enterprise mortgage-backed securities, net)

Si l’on fait le bilan de l’opération QE1, on s’aperçoit que la Fed a racheté pour 1 trillion de dollars d'actifs toxiques et a souscrit pour 280 billions de titres du Trésor. Ce qui n’a pas le même impact sur l’économie (voir plus bas).

                b ) Le QE 2 a été décidé en Novembre 2010.

Le total des bilans consolidés de la Fed passe de 2.430 mds$ à fin 2010 à 2.920 mds$ à fin 2012, soit une hausse de 500 mds$ environ, que l’on retrouve en grande partie, aux deux postes d’actif suivants :

- Bons et obligations du Trésor, en hausse de 742 mds$
(Treasury securities, net)

- Titres adossés à des hypothèques, en diminution d’environ 55 mds$, soit une accalmie provisoire.
(Federal agency and government-sponsored enterprise mortgage-backed securities, net)

Si l’on fait le bilan de l’opération QE2, on s’aperçoit que la Fed a principalement souscrit à 750 billions de titres du Trésor.

                c ) Le QE 3 a été décidé en Septembre 2012.

Le total des bilans consolidés de la Fed passe de 2.920 mds$ à fin 2012 à 4.550 mds$ (provisoire) à fin 2014 (les achats ont été interrompus fin octobre 2014), soit une hausse de 1.600 mds$ environ, que l’on retrouve en grande partie, aux deux postes d’actif comme suit :

- Bons et obligations du Trésor, en hausse de 650 mds$
(Treasury securities, net)

- Titres adossés à des hypothèques, en hausse d’environ 800 mds$.
(Federal agency and government-sponsored enterprise mortgage-backed securities, net)

Si l’on fait le bilan de l’opération QE3, on s’aperçoit que la Fed a racheté pour  800 billions de dollars d'actifs toxiques et a souscrit à 650 billions de titres du Trésor.

                d) Bilan des 3 QE sur 7 ans (2007 à 2014)

De fin 2007 à fin 2014, sur la base de ses bilans consolidés, la Fed a injecté 3,5 trillions de dollars qui se répartissent finalement à peu près à parts égales entre :

- la souscription directe à des bons et obligations d’Etat pour 1,7 trillions de dollars

- le rachat (à leur valeur faciale) de titres toxiques, garantis par le gouvernement pour 1,8 trillions de dollars.

La souscription directe a alimenté la croissance américaine par les dépenses de l’Etat à destination de la sphère de l’activité de production.

Tandis que le rachat de titres toxiques a servi à transférer des pertes potentielles (dépréciation) des vendeurs vers la Fed.

Ajoutons que selon des informations dignes de foi, non démenties, la Fed en état de quasi-faillite s’est mise sous la protection du Trésor américain le 6 janvier 2011. Les pertes seront donc épongées par le contribuable américain, dès qu’elles seront constatées ce qui n’était pas le cas à fin 2013. Rien ne presse !

Les Etats-Unis n'ont signé ni les traités de Maastricht/Lisbonne, ni le pacte de stabilité et de croissance auxquels ont adhéré les Européens. Ils ont, eux, toute liberté de pratiquer le Quantitative Easing à condition - croyons-nous - d'en obtenir l'autorisation de leur Congrès, ce qui s'est passé pour les deux derniers QE, semble-t-il.

Cette politique de relance, pour 1.700 milliards de dollars - comme il a été dit au-dessus - a eu des effets positifs sur l'économie américaine, bien que moins importants qu'attendus. Ajoutée à celle de rachat de titres toxiques, elles ont eu ensemble des effets négatifs, soit :

- un accroissement démesuré de la dette publique américaine,

- et des masses de liquidités en dollars qui perturbent les marchés monétaires internationaux ; ces liquidités bénéficient aux banques en raison d’une organisation défectueuse du système.

 

2 - L’assouplissement quantitatif en Europe

Les initiés et les médias vantant allégrement les vertus du Quantitative Easing, il n'en fallait pas plus pour que la BCE envisage d'en faire autant avec l’assouplissement quantitatif. Sérieusement, semble-t-il, puisque tout le monde est sur le pont !

Il semblerait que la Banque centrale européenne veuille donner l’image d’une banque centrale qui veut appliquer la méthode du QE ainsi que l’ont expérimentée la Fed, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre avec des résultats plutôt encourageants en terme de relance de l’activité économique et de réduction du chômage.

Afin d’éviter toute confusion - du fait de l’absence de précisions de la part des autorités monétaires - il semble utile d’indiquer que ce n’est pas la BCE (cf. ses bilans annuels) qui s’engage dans l’assouplissement quantitatif, mais ses BCN (cf. bilans annuels de l’Eurosystème).

2.1 - Programme d’achat d’actifs de la BCE de janvier 2015

Dans un communiqué de presse du 22 janvier 2015, le Président de la BCE a annoncé dès le début de la conférence un programme d’achat d'actifs (d'au minimum 1.100 milliards d'euros), dont voici un large extrait :

Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé ce jour un programme étendu d’achats d’actifs. À travers ce programme, dont l’objectif est de remplir son mandat de stabilité des prix, la BCE va ajouter des achats d’obligations souveraines à ses programmes en vigueur d’achats d’actifs du secteur privé afin de faire face aux risques d’une période trop prolongée de faible inflation.
Le Conseil des gouverneurs a pris cette décision alors que la plupart des indicateurs de l’inflation effective et attendue dans la zone euro ont dérivé vers des planchers historiques. Dans la mesure où des effets de second tour potentiels sur le processus de formation des salaires et des prix menaçaient d’affecter l’évolution des prix à moyen terme, une réaction vigoureuse de la politique monétaire était indispensable.
Les achats d’actifs fournissent un soutien monétaire à l’économie dans un contexte de taux d’intérêt directeurs de la BCE se situant à leur niveau plancher. Ils constituent un nouvel assouplissement des conditions monétaires et financières, réduisant le coût de l’accès au financement des entreprises et des ménages. Cela tend à soutenir l’investissement et la consommation et contribue, in fine, à un retour de l’inflation vers des niveaux proches de 2 %.
Le programme englobera le programme d’achat de titres adossés à des actifs ( asset-backed securities purchase programme, ABSPP) et le programme d’achat d’obligations sécurisées (CBPP3), qui ont tous deux été lancés fin 2014. Les achats mensuels cumulés s’élèveront à 60 milliards d’euros. Ils devraient être effectués au moins jusqu’en septembre 2016 et en tout cas jusqu’à ce que le Conseil des gouverneurs observe un ajustement durable de l’évolution de l’inflation conforme à son objectif de taux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme.
La BCE achètera contre de la monnaie de banque centrale, sur le marché secondaire, des obligations émises par les administrations centrales, les agences et les institutions européennes de la zone euro. Les institutions vendant ces titres pourront l’utiliser pour acquérir d’autres actifs et octroyer des crédits à l’économie réelle.
…………………

Wikipedia nous donne la définition suivante des ABS (asset-backed security) :

Les ABS sont l'une des formes les plus courantes de titrisation. Les ABS les plus répandus sont adossés à des crédits hypothécaires américains, montrés du doigt lors de la crise financière mondiale débutant en 2007, en raison de la crise des subprimes.

et des obligations sécurisées :

Ce sont des obligations dont le service (versement des intérêts et remboursement du nominal) est garanti par des crédits hypothécaires ou des créances sur le secteur public (collectivités locales notamment). Elles sont similaires sur plusieurs points aux actifs titrisés de type ABS.

le Figaro du 22/01/2015 nous dit que :

Les achats d'obligations souveraines seront réalisés au prorata de la répartition du capital de la BCE, c'est-à-dire qu'un montant réduit sera consacré au rachat des dettes des plus petits pays comme la Grèce.

Dans un de ses articles, François Leclerc nous dit notamment le 23 janvier 2015 :

Son objectif est d’obtenir que les établissements financiers, dont les titres obligataires vont être achetés par les banques centrales nationales, utilisent le produit de leurs ventes pour développer le crédit aux entreprises et aux particuliers, et que cela enclenche une dynamique.

2.2 - Notre analyse de texte et ses conclusions

Il est clairement annoncé que ce programme a pour finalité la stabilité des prix et le retour à un taux de l’inflation (4 fois citée) proche de, mais inférieur à, 2%.

A lire le communiqué, des achats massifs d’actifs résoudraient miraculeusement les phénomènes de l’inflation et permettrait de retrouver un trend voisin de 2% afin que la BCE puisse reprendre « imperturbablement » la lutte contre l’inflation, sa principale raison d’être comme l’exigent ses statuts. On fera remarquer que ceux-ci sont muets en cas de déflation. Capricieuse conjoncture !

Tout ceci n'est que gesticulation si l’on s’en tient aux conclusions des pages « Le pouvoir de la banque centrale sur l’émission monétaire », démontrant que la banque centrale n’a aucun pouvoir sur l’émission de monnaie par les banques et par voie de conséquence aucun pouvoir sur la stabilité des prix. Relire à ce propos « La théorie monétariste de l’inflation ».

Ce vaste programme de QE - inconsistant de notre point de vue - peut être lu comme une suite de vœux pieux en raison  du flou artistique qui l’entoure.

Il y a certainement « anguille sous roche » comme l’on dit, d’autant que les bilans consolidés de l’Eurosystème ont perdu 900 milliards d’euros entre la fin 2012 et le 28 novembre 2014 (cf. Bilan 2012 et Bulletin mensuel de décembre de la BCE). Ces 900 mds€ ont-ils fui vers des structures de défaisance ?

Alors, s’agit-il de boucher le trou béant - creusé ces deux dernières années - par de nouveaux transferts de titres toxiques ou bien de titres de dettes souveraines présentant un risque de défaut ? Cette question mérite une attention toute particulière.

Nous écarterons d’emblée l’émission de titres par le Trésor public (TP) parce qu’il n’est question ici que d’achat de titres existants (déjà émis), respectant ainsi les dispositions du traité de Maastricht interdisant à la BCE et aux BCN de financer les Etats et organismes publics de la zone euro.

Que nous reste-t-il après avoir examiné au chapitre 2.1 ci-dessus les deux modes opératoires des QE américains ? Toutes les craintes sont permises puisqu’il n’est pas question d’émettre de la monnaie en faveur des TP (1er mode opératoire américain). S’agirait-il alors d’achat de titres toxiques (second mode opératoire) ?

En conclusion , on peut supposer que :

                a) - il s'agit d'une opération de communication ou d'une mise en scène destinée à amuser la galerie pendant un certain temps, repoussant à plus tard les problèmes de la relance économique et de la baisse du chômage avant de l'enterrer au moment le plus opportun,

                b) - il s’agit d’une entourloupe visant à faire racheter par les BCN, les titres toxiques et/ou souverains aux investisseurs institutionnels dont ceux-ci veulent se débarrasser ; il s’agirait alors d’un transfert de pertes comme l’a pratiqué la Fed, mais en Europe sans le dire.

Cette dernière hypothèse nous semble la plus plausible, encore que l’on ne puisse écarter un savant mixage des deux.

L’examen des futurs bilans de l’Eurosystème devrait nous apporter de nombreux indices pour vérifier la pertinence de nos hypothèses.

 

Dernière version remaniée le 5 avril 2015

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